Le Liban a appelé l'Arabie saoudite au "dialogue" pour régler la crise diplomatique née suite aux propos du ministre de l’Information, George Cordahi. Avant sa nomination, il avait qualifié d'"absurde" l'intervention militaire saoudienne au Yémen.
Suite à cela, l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Koweït ont rappelé, le 30 octobre, leurs diplomates dans la capitale libanaise et ont expulsé ceux du Liban.
La crise diplomatique entre Beyrouth et Riyad aura, bien entendu, des conséquences à la fois économiques mais également politiques pour le Liban. Nous allons tenter d'analyser les enjeux derrière ces tensions.
Le reproche fait aux Libanais par Riyad concernant le rôle prépondérant du Hezbollah n'est pas nouveau. En 2016, l’Arabie saoudite et ses alliés affichent clairement, et sans prendre de gants, leur opposition frontale au Hezbollah libanais. Le Conseil de Coopération du Golfe?évoque alors les « interventions du Hezbollah dans les pays membres » et « en Syrie, en Irak et au Yémen».
Les Saoudiens décident même de classer l'organisation chiite comme terroriste. D’ailleurs, la 33ème conférence des ministres arabes de l’Intérieur, réunie à Tunis peu après, utilise la même terminologie à l'encontre du Hezbollah.
La fin de la tutelle syrienne en 2005 a renforcé l'opposition entre l’Arabie saoudite et l’Iran au Liban. Les conflits en Syrie et au Yémen, la décennie suivante, ne faisant qu'accentuer cette opposition.
La spécialiste du Liban, Aurélie Daher l'explique très bien : "le Hezbollah était d’ailleurs bientôt accusé par Riyad et les pays du Golfe d’être également actif au Yémen, aux côtés des Houthis, au Bahreïn, en soutien à la contestation chiite, et en Irak. Riyad avait alors pris une première série d’initiatives punitives". L'enseignante en Science Politique à l´université Paris-Dauphine ajoute qu'en 2013, des Libanais de confession chiite sont expulsés. En 2015, deux dirigeants du Hezbollah sont accusés d’« ingérence » dans les affaires du Yémen et douze voient leurs avoirs gelés.
Aujourd'hui, la crise entre les deux pays ne se limite pas à la diplomatie. Les Saoudiens ont annoncé l’arrêt des importations de produits libanais, ce qui pourrait faire perdre au Liban environ 10% de ses exportations et 300 millions de dollars annuels. Il existe également une crainte de voir limiter ou même geler l’envoi des devises de la diaspora. En effet, 550 000 Libanais vivent dans le Golfe, dont 350 000 rien qu'en Arabie saoudite. Cela s´ajoute à une crise économique et sociale. L'inflation a atteint 146 % en 2020, selon les statistiques officielles, et plus de la moitié des Libanais vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, selon les Nations unies.
Qui pourra aider le Liban ? La France ? Pour Joseph Bahout, professeur de Sciences politiques à l’Université Américaine de Beyrouth (AUB), son influence est limitée : "pour l’instant la médiation française n’a pas servi à grand-chose. Quel est le levier de la France face l’Arabie saoudite ? À la limite, les Américains peuvent faire pression sur certains États du Golfe pour qu’ils assouplissent leurs positions… Mais, dans le fond, je ne crois pas qu’ils vont investir leur capital politique pour le Liban".
Certes, en 2018, le Premier ministre Saad Hariri avait été maintenu de force à Riyad, mais jamais une crise entre le Liban et les pays du Golfe n’avait atteint cette ampleur. Le professeur d’Histoire à l’Université du Koweït Bader al-Saif considère que "cette fois-ci, les dossiers en jeu touchent à la sécurité nationale des pays du Golfe, à savoir les activités du Hezbollah, qui n’a pas seulement une influence au Liban mais aussi au Yémen où il entraîne les Houthis, la découverte de cellules liées au Hezbollah dans le Golfe ou encore le trafic de drogue, qui ne s’arrête pas". Ce qui expliquerait la réaction forte et coordonnée des pays du Golfe. Précisons que le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, a appelé ses homologues du Qatar et d’Oman car ils sont les deux seuls pays du Golfe à ne pas avoir pris de mesures de rétorsion contre le Liban afin de les remercier.
De son côté, le Hezbollah considère sa présence au sein du gouvernement comme stratégique et défend bec et ongles Georges Cordahi.
Dr. Mohamed Badine El Yattioui, Professeur de Relations Internationales à l´Université des Amériques de Puebla (Mexique).