Coup de théâtre ! L’Iran et l’Arabie saoudite ont annoncé, vendredi 10 mars, le rétablissement de leurs relations diplomatiques. Ce rapprochement saoudo-iranien interrompt une glaciation des liens survenue il y a sept ans, lorsque des manifestants iraniens avaient attaqué des missions diplomatiques saoudiennes peu après l’exécution d’un religieux chiite par Ryad.
La surprise est d’autant plus grande que la nouvelle fraternisation saoudo-iranienne se produit dans un contexte de rumeurs positives d’une normalisation potentielle entre l’Arabie saoudite et Israël, normalisation médiée par les États-Unis.
Point important, la normalisation irano-saoudienne a été parrainée par la Chine. Dans un communiqué conjoint, les nouveaux partenaires informent la cantonade que l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite a été conclu à huis clos à Pékin. Le dirigeant chinois Xi Jinping avait évoqué l’idée de pourparlers, lors d’une visite d’État à Riyad en décembre 2022, selon des diplomates proches du dossier.
Dans le cadre de l’accord, l’Iran s’est engagé à mettre fin aux attaques directes et indirectes contre l’Arabie saoudite, ce qui inclut les bombardements des rebelles Houthis du Yémen, soutenus par l’Iran. L’Arabie saoudite et l’Iran rouvriront leurs ambassades et consulats d’ici deux mois et ont convenu que leurs ministres des Affaires étrangères tiendront bientôt un sommet pour régler d’autres détails.
Sur l’échiquier moyen oriental, ce roque spectaculaire du prince régnant saoudien a des conséquences importantes.
- La Chine devient un acteur diplomatique avec lequel il faut compter dans une zone, le Moyen- Orient, où les Etats-Unis faisaient la pluie et le beau temps. La Chine avait déjà entrepris de contrer l’influence américaine en achetant massivement du pétrole à l’Iran, réduisant ainsi la portée de l’embargo économique organisé par les Etats Unis. Désormais, comme au temps de la guerre froide, les deux puissances mondiales, la Chine et les Etats Unis, bâtissent des alliances régionales rivales.
- Pour les Etats-Unis, il s’agit d’un divorce librement consenti avec Ryad. Selon le Wall Street Journal, Washington a été tenu au courant des pourparlers engagés à Pékin par l’Arabie saoudite. La perte d’influence semble donc avoir été assumée.
Washington accepte la sortie de l’Arabie saoudite de sa zone d’influence et confirme ainsi son refus de consentir aux demandes principales du prince régnant saoudien : la promesse des Etats-Unis de s’engager au plan militaire en cas de guerre avec l’Iran ; une aide à la création d’une industrie nucléaire civile.
Le seul commentaire d’un responsable américain est venu du porte-parole du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, qui a déclaré que « d’une manière générale, nous saluons tous les efforts visant à mettre fin à la guerre au Yémen et à désamorcer les tensions dans la région du Moyen-Orient ».
- Pour Israël, il s’agit d’un revers diplomatique majeur. L’idée d’une alliance israélo-arabe contre l’Iran s’effondre. L’Arabie saoudite s’était engagée à signer un traité de paix avec Israël si les demandes qu’elle formulait à Washington, concernant sa sécurité, étaient satisfaites. Un éventuel traité de paix saoudo-israélien aurait pu avoir un effet domino, susciter le ralliement d’autres pays musulmans, marginaliser la question palestinienne, confirmer l’isolement de Téhéran sur la scène internationale.
Aujourd’hui, la question se pose de savoir si les accords d’Abraham qui lient Israël à quatre pays musulmans (Emirat arabes unis, Bahreïn, Soudan, Maroc) ne seront pas pénalisés, voire défaits par le rapprochement de l’Iran et de l’Arabie saoudite.
Pire encore, les Israéliens s’interrogent sans doute aussi sur la volonté des Etats-Unis d’assurer leur sécurité. Il va de soi que le refus américain d’assurer la sécurité de l’Arabie saoudite est un refus global d’engager une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Refuser de s’impliquer militairement au Moyen-Orient peut aussi signifier lâcher Israël en cas de conflit ouvert avec l’Iran.
Quid du nucléaire iranien ?
L’Arabie saoudite partage les inquiétudes israéliennes concernant le programme nucléaire iranien. Le rapprochement amorcé du régime des Saoud avec Israël (ouverture de l’espace aérien saoudien aux avions civils israéliens, discrète coopération sécuritaire…) est principalement lié à cette vision d’un risque partagé.
Ce rapprochement avec Israël est-il remis en question ? Peut-il évoluer ? Il est encore trop tôt pour le dire.
L’autre question pendante est de savoir si les Saoudiens ont obtenu des garanties particulières de la Chine concernant leur sécurité vis-à-vis de l’Iran, ou si le rapprochement avec Téhéran est une manœuvre opportuniste destinée à exercer un chantage sur les Etats-Unis.
Sur un plan plus large, l’OPA iranienne lancée par l’ayatollah Khomeiny sur le monde musulman – OPA reprise et confirmée par ses successeurs – demeure inchangée. Cette volonté hégémonique des Perses d’obédience chiite de placer l’ensemble des pays Arabes d’obédience sunnite sous une même sphère d’influence, celle de Téhéran, connait donc une péripétie nouvelle. La rivalité séculaire entre chiites et sunnites en sera-t-elle atténuée, là encore il est un peu tôt pour le dire.