L'arrestation d'Ekrem Imamoglu, le maire d'Istanbul, a déclenché une contestation sans précédent depuis 2013 en Turquie. À l'appel de l'opposition et bravant les interdictions de rassemblement, des milliers de manifestants se sont une nouvelle fois mobilisés lundi soir dans le pays.
Cela faisait 12 ans que la Turquie n'avait pas connu un tel mouvement de contestation. Pour le sixième soir consécutif, l'opposition a organisé de nouveaux rassemblements, lundi 24 mars au soir, en Turquie, auxquels participent de plus en plus les étudiants.
"Ce n'est pas un rassemblement mais une action de défiance contre le fascisme", a lancé Ozgur Ozel, le leader du CHP, principal parti d'opposition, aux dizaines de milliers de personnes réunies devant la municipalité d'Istanbul où des manifestations sont organisées tous les soirs depuis l'arrestation du maire d'opposition d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, mercredi dernier.
"Enterrez ceux qui vous ignorent", a également déclaré Ozgur Ozel, en référence aux chaînes progouvernementales qui ne diffusent pas les images des manifestations. Il a appelé au boycott de ces chaînes et d'une dizaine de compagnies qu'il estime proches du gouvernement, dont une chaîne de cafés.
Déclenchée par l'arrestation du maire, figure de l'opposition et principal rival du président Recep Tayyip Erdogan, la contestation n'a cessé de s'étendre, rassemblant chaque soir des dizaines de milliers de manifestants à Istanbul. Des manifestations ont également eu lieu dans au moins 55 des 81 provinces du pays, selon un décompte de l'AFP.
Ce mouvement, d'une ampleur inédite depuis la grande vague de protestation de Gezi à Istanbul, en 2013, est déjà réprimé par les autorités. Les manifestations ont été interdites dans les trois plus grandes villes du pays – Istanbul, Ankara et Izmir – et plus de 1 130 personnes ont été interpellées en six jours, tandis que 43 ont été arrêtées lundi soir, selon le ministre de l'Intérieur.
"Cessez de troubler la paix de nos concitoyens par vos provocations", a martelé lundi le président turc Recep Tayyip Erdogan en s'adressant à l'opposition lors d'un discours télévisé. "Ne jouez plus avec les nerfs de la nation. Ne déchaînez pas contre notre police les organisations marginales de gauche."
Dès la mi-journée lundi, des étudiants ont commencé à protester à Istanbul et Ankara en soutien à Ekrem Imamoglu.
À Istanbul, où un nouveau maire sera désigné mercredi par le conseil municipal, un cortège de jeunes gens marchant dans le quartier de Besiktas, un bastion de l'opposition, a reçu le soutien enthousiaste de riverains qui ont applaudi à leur passage et tapé sur des casseroles, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Au moins dix journalistes, dont un photographe de l'AFP, ont été arrêtés lundi à l'aube à leur domicile à Istanbul et Izmir, a rapporté l'association turque de défense des droits humains MLSA.
"Ces attaques et entraves à la liberté de la presse doivent cesser immédiatement. (...) Nous demandons la libération des journalistes interpellés et appelons le ministre de l'Intérieur Ali Yerlikaya à prendre des mesures pour s'assurer que les forces de l'ordre respectent le droit d'informer", a réagi Erol Önderoglu, représentant de RSF en Turquie.
"Les autorités turques doivent mettre fin à l'usage inutile et aveugle de la force par les forces de sécurité contre des manifestants pacifiques et enquêter sur les actes de violence illégaux commis par la police", a déclaré de son côté Amnesty International dans un communiqué.
La Grèce s'est émue lundi de la situation "instable et préoccupante" chez sa voisine. Et l'Union européenne a appelé la Turquie à "respecter les valeurs démocratiques".
"L'incarcération du maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu ainsi que de nombreuses autres personnalités constituent des atteintes graves à la démocratie", a déploré dimanche soir la diplomatie française, après avoir déjà condamné son arrestation mercredi.
À l'unisson, l'Allemagne, où vit la plus grande communauté turque de l'étranger, a condamné lundi l'incarcération et la suspension "totalement inacceptables" d'Ekrem Imamoglu, Berlin y voyant un "mauvais signal pour la démocratie".
Outre Ekrem Imamoglu, près de cinquante co-accusés ont également été placés en détention dimanche pour "corruption" et "terrorisme", selon la presse turque. Parmi eux figurent deux maires d'arrondissement d'Istanbul, membres eux aussi du CHP. Les deux élus ont été destitués et l'un d'eux, accusé de "terrorisme", a été remplacé par un administrateur nommé par l'État, ont annoncé les autorités.
L'arrestation du maire a mis sous pression l'économie de la Turquie, déjà aux prises avec une grave crise inflationniste, entraînant une chute de la Bourse ainsi que de la livre turque, tombée à son plus bas historique face au dollar.
Le président turc a évoqué lundi "des fluctuations artificielles sans fondement dans l'économie". "Nous avons géré avec succès la récente volatilité du marché en utilisant efficacement les outils à notre disposition", a-t-il assuré.