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la présence iranienne en Afrique

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Par Ali Bernard CHANGAM

 

La relation entre l’Iran et l’Afrique date bien avant la révolution iranienne.

Les relations entre l’Iran et le continent africain s’intensifient sous le régime de Mohammad Reza Pahlavi. Dans les années 70, dans un contexte de guerre froide, le Chah, allié de l’Occident, souhaite de fait éviter l’expansion du communisme dans une Afrique tout juste décolonisée. Mohammad Reza Pahlavi va par conséquent développer ses relations avec certains pays africains, notamment l’Égypte, l’Afrique du Sud, l’Algérie et le Maroc.

L’Iran, qui a bénéficié du premier choc pétrolier et souhaite étendre son influence, apportera également un soutien financier et économique au Soudan, à la Somalie, au Sénégal, à l’Éthiopie et au Zaïre. « L’Afrique n’est cependant qu’un élément de la politique étrangère du régime Pahlavi et non pas une priorité », affirme Clément Therme, chercheur post-doctorant à Sciences Po Paris et spécialiste de l’Iran.

L’instauration de la République islamique d’Iran en 1979 marque un tournant dans les relations entre Téhéran et le continent africain. Dès les années 1980, le nouveau régime cherche en effet à exporter sa révolution islamique notamment au Nigeria en soutenant l’Islamic Movement d’Ibrahim Zakzaky?et au Sénégal.

Depuis 1979, la présence de l’Iran sur le continent africain s’inscrit dans une logique d’expansion idéologique et d’antiaméricanisme. Au détriment des relations économiques et politiques.

Sur le plan diplomatique

Après la révolution iranienne de 1979 par l’ayatollah Ruhullah Khomeini, commence alors une politique expansionniste combinant idéologie chiite et anti-impérialisme. La République islamique rejoint ainsi le mouvement des non-alignés et s’affiche comme défenseur des pays opprimés face à la domination occidentale, surtout américaine. En 1986, alors que l’Iran est en guerre contre l’Irak, Ali Khamenei, alors président de la République islamique d’Iran, se rendra une première fois en Afrique, notamment au Mozambique et en Angola, pour discuter de l’approvisionnement en pétrole, de la coopération industrielle, du développement agricole… Une visite pour affirmer l’influence de Téhéran, mais aussi destinée à trouver des soutiens contre Saddam Hussein.

Les relations diplomatiques entre l’Iran et l’Afrique marquèrent surtout un tournant dans les années 1990, notamment du fait de la mise en œuvre des sanctions contre l’Iran. Après le coup d’Etat du général Omar al-Bashir, soutenu par le leader du Front islamique national, Hassan al-Tourabi, en février 1989, le Soudan devint ainsi le partenaire principal de l’Iran en Afrique et reçut la visite du président iranien Hachemi Rafsandjani en 1991. En 1994, l’Iran renoua ses relations diplomatiques avec l’Afrique du Sud qui était elle-même engagée dans un processus de normalisation.

En 1996, le président Rafsandjani effectua une visite au Kenya, en Ouganda, au Soudan, au Zimbabwe, en Tanzanie et en Afrique du Sud afin de desserrer le verrou de l’embargo occidental et contrer la loi américaine dite « Amato-Kennedy », adoptée en août 1996, et qui menaçait de sanctions les compagnies pétrolières étrangères investissant en Iran et en Libye.

Sayyid Ali Khamenei en tant que président effectua en 1986, une tournée en Afrique et a reçu plus tard les chefs d’Etats africains en visite officielle en Iran dont Ali Hassan Mwinye de Tanzanie (juin 1989), Robert Mugabe du Zimbabwe (février 1993), Daniel Arab Moi du Kenya (décembre 1989), Yoweri Museveni d’Ouganda (mars 1991).

Le président iranien Ali Akbar Hachémi Rafsanjani se rendra donc en Afrique en 1991 puis en 1996. Son successeur, Mohammad Khatami, fera de même en janvier 2005.

La diplomatie iranienne en Afrique a, de fait, montré ses limites. L’Iran, qui compte 25 ambassades en Afrique, doit par ailleurs faire face à l’Arabie saoudite son principal rival qui compte 30 ambassades sur lé continent. Le royaume sunnite voit en effet d’un mauvais œil la présence de la puissance chiite en Afrique.

Le Maroc a donc rompu ses relations avec l’Iran à deux reprises. La première fois en 2009, dénonçant « l’activisme » religieux de Téhéran ; la deuxième en 2018, accusant cette fois l’Iran de soutenir le Polisario au Sahara occidental via le Hezbollah libanais. L’Iran est en effet régulièrement soupçonné de trafic d’armes en Afrique. Le Sénégal a ainsi rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran suite à la saisie d’une cargaison d’armes à Lagos en 2010 – elles seront renouées en 2013.

Et, suite à l’exécution par l’Arabie saoudite du cheikh chiite Nimr Baqr al-Nimr en 2016, Djibouti et la Somalie ont également annoncé la rupture de leurs relations diplomatiques avec l’Iran. Le Soudan, pourtant allié de longue date de Téhéran, a fait de même.

Sur le plan économique

L’Iran a signé des contrats de coopération avec un très grand nombre de pays africains, couvrant les domaines de la santé, de l’agriculture, de l’éducation ou la sécurité. L’Iran s’est particulièrement lié avec le Soudan et investit au Kenya, en Erythrée et au Sénégal.

Sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), la République islamique adosse son influence en Afrique sur l’aide au développement. En mars 2005, le pays signe un accord portant sur 1,5 million de dollars d’aide au budget de l’État ghanéen.

Usines de montage automobile, approvisionnement en pétrole, extraction de gaz, électricité, biens de consommation… L’Iran accroît peu à peu ses échanges commerciaux avec l’Afrique et développe par ailleurs une coopération militaire, en particulier dans le domaine naval. Le pays dépense aussi des sommes importantes pour construire des infrastructures sociales et sanitaires, notamment par le biais du croissant rouge iranien.

En 2015,  Hossein Amir-Abdollahian, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, chargé du département arabo-africain déclarait que « l'Iran et le continent africain entretiennent des relations stratégiques ». Ainsi, il appelait « tous les Iraniens actifs dans les secteurs économique, commercial, scientifique et culturel à saisir l'opportunité qu'offre ce continent »

Les échanges commerciaux entre l’Iran et l’Afrique atteignent un record de 1,2 milliard de dollars entre 2017 et 2018.

Mais, en dépit de cette croissance, les échanges avec l’Iran ne représentaient en 2018 que 0,12% du commerce total de l’Afrique avec le monde. Les exportations iraniennes représentaient quant à elles 600 millions de dollars entre 2018 et 2019.

En octobre 2020, le nouveau directeur général du bureau iranien des pays arabes et africains du TPO, Farzad Piltan, a affirmé sans donner plus de précisions que l’organisation redéfinirait sa stratégie afin de permettre à l’Iran de bénéficier des avantages du marché africain.

Si l’ingérence iranienne et la rivalité avec l’Arabie saoudite portent préjudice aux relations économiques entre l’Iran et l’Afrique, la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions américaines en 2018 les compliquent encore plus. En effet, alors que l’Iran connaît une crise économique sans précédente, comment peut-il rivaliser, face à des puissances comme la Chine ou la Russie, de plus en plus influents sur le continent africain ?

Durant la présidence de Mohammad Khatami (1997-2005), les relations irano-africaines se renforcèrent en particulier dans les domaines économique et industriel.

Le président Khatami se rendit ainsi dans plusieurs pays africains en janvier 2005 : le Nigeria, le Sénégal (marquant le rétablissement des relations rompues en 1984), le Mali, le Bénin, la Sierra Leone, le Zimbabwe et l’Ouganda. En mars 2005, le ministre iranien des Affaires étrangères se rendit au Ghana et signa un accord portant sur 1,5 million de dollars d’aide au budget de l’Etat ghanéen.

Avec l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2005, la relation avec l’Afrique ne se démentit pas, au point même que l’Iran entama une coopération dans le domaine militaire. En octobre 2005, une délégation du ministère iranien de la Défense, conduite par Tahir Kahum, se rendit au Nigeria pour une coopération militaire dans le domaine naval.

Le Soudan, sous embargo comme l’Iran, devint l’un des partenaires importants de Téhéran. En avril 2006, le président soudanais Omar al-Bashir se rendit en Iran et en février 2007, Mahmoud Ahmadinejad effectua une visite au Soudan. En 2008, lors de la visite au Soudan du ministre iranien de la Défense, Mustafa Muhammad Najjar, les deux pays signèrent un accord de coopération militaire.

En 2008, à Dakar, l’Iran lança la construction d’une usine de montage automobile, Iran Khodoro Company (IKCO) estimée à 60 millions de dollars dont 60 % venait d’Iran, le reste étant partagé à parts égales entre le gouvernement sénégalais et le secteur privé (20 %), pour son modèle Samand.

Depuis plusieurs décennies, beaucoup de déclarations avaient donc été faites par l’Iran en vue d’un partenariat économique, politique et stratégique. Mais beaucoup n’ont pas été réalisé. Certainement à cause de l’embargo. En 2007, le volume des échanges irano-africains était estimé à 600 millions de dollars.

De l’assemblage des tracteurs (Egypte, Soudan, Guinée-Conakry et Sierra Leone) à l’exportation des biens de consommations vers le Soudan, la Libye ou la Tunisie en passant par l’importation de matériel industriel et de fertilisants depuis le Maroc, le Sénégal et la Tunisie, Téhéran menait ainsi une offensive économique tous azimuts.

Mais depuis les années 2015, les investisseurs iraniens du secteur privé sont de plus en plus présents sur le continent à travers les projets d’agriculture, élevage, automobile, construction et pétrolier.

L’entreprise sud-africaine de téléphonie MTN est présente en Iran avec 33 millions d’abonnés.

Sur le plan socio culturel

La présence iranienne en Afrique sur le plan culturel est marquée par le chiisme, branche de l’islam officielle en Iran.

Dans les années 1990, l’Iran va ouvrir ses écolés sur le continent à travers son institution Jamiatou Mustafa. Une grande université sera ouverte au Ghana (1996) et en république démocratique du Congo en 1986 en tant que Centre international d'études islamiques, mais en 2008 devint université internationale islamique. Plusieurs centres ont vu le jour dans les années 2000 avec le financement de plusieurs associations islamiques sur le continent. Les centaines de bourses sont octroyés dans les universités iraniennes dans les facultés de la médecine, technologies et théologie en majorité. Avec la crise économiques et les sanctions qui frappent l’Iran, beaucoup des centres ont été fermés.

En 2017, le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif inaugure ainsi un hôpital à Kampala en Ouganda, en partie financé par la République islamique.